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Journal, très long j'espère, d'un sdf de moins.
3 février 2008

Un extraverti dans l'isoloir

Mon vieux paternel débarque demain en France. Le container est déjà parti, et il fuit Israël pour échapper à la solitude, et un procès d'accident de circulation qui risque bien de le foutre à poil...
Quelques jours à Paris chez son petit frère, puis chez un neveu à Rouen, et enfin peut-être un crochet à Rennes chez ma soeur, avant de poser ses valises à Toulouse. Il veut s'installer ici, près de moi. La messe est dite.

Aujourd'hui, il a longuement dit au revoir à ma mère, au cimetierre.
Moment très difficile pour lui, je le sais. Quelque part, il a l'impression de l'abandonner, ce que je peux parfaitement comprendre
Moi aussi, ça me fait mal au coeur de savoir que plus personne ne montera au régulièrement là-bas, entretenir la dernière demeure de maman...

Mais je crains déjà que mon père ne me rende dingue, et m'entraine avec lui vers le bas.
Il a une façon de vivre son deuil radicalement différente de la mienne : il parle de maman à qui veut l'entendre, ou ne pas l'entendre. Il exprime ouvertement sa douleur. Du moins, en Israël, il faisait déjà ça. Il sortait de photo de maman, les larmes aux yeux, et la montrait tout le monde, mais vraiment tout le monde : la banquière, la caissière de supermarché, le garçon de bar, il devait partager sa douleur, la répandre, parce que mon père est foncièrement un extraverti. Et c'est pas à 79 ans que ça va changer.

J'ai peur qu'il ne remue encore et encore le couteau dans la plaie, et ne prolonge mon deuil de plusieurs mois.
Moi, je suis beaucoup plus discret cette douleur qui m'habite, je n'en parle pratiquement à personne, j'ai besoin de calme, d'isolement, je préfère chialer seul dans mon coin quand la douleur et le manque deviennent trop fort. Mais je crains qu'avec mon paternel dans les parages, tout soit encore démultiplié...

La vérité, c'est que pour lui, la vie est devenue un non-sens. Il est complètement paumé. Sa santé est médiocre, et sa femme est partie avant lui, malgré leur 19 ans d'écart. Et puis c'est un homme qui vivait vraiment pour son travail. Il abattait sans problèmes 80 heures par semaine. Il avait la force, la santé, et une inébranlable confiance en lui. Tout ça a bel et bien disparu. Comme disait de Gaulle : La vieillesse est un naufrage.
Maintenant mon père ne sait plus quoi faire de son temps libre. Rien ne l'interesse vraiment. C'était un homme d'action, un homme toujours en mouvement. Mais il n'a plus l'énergie, ni l'envie. En clair : il se fait chier grave dans sa vieillesse.

Aujourd'hui, ma soeur et moi, sommes ses seuls repères encore debout. Encore que, je sais qu'il préfère être avec moi, puisque je suis moins écervelé que ma soeur.
Je ne le blâme pas qu'il ait besoin de nous pour conjurer ce grand vide autour de lui. C'est juste que mon père n'a pas le sens de la mesure. Il est du genre à ruer dans les brancards, et à cannibaliser la vie d'autrui, sans vice ni méchanceté.

Il faudra que je mette des barrières, sans jouer au fils indigne. Hors de question de faire comme tous ces salopards qui se débarrassent de leur parents dans la blancheur hospitalière, ou le rance des maisons de retraites. D'ailleurs, mon père est un "faux-vieux". Il est à moitié gaga, mais presque pas ridé. Il règne toujours une certaine candeur dans son regard, une naïveté dont j'ai un peu hérité, je crois. 

Mais je dois bien admettre que quelque part, je lui en veux. Pour moi, il est partiellement responsable du malheur et de la mort de ma mère. C'est un engrenage vieux de 15 ans, une sordide histoire de famille, de possessivité, dont il n'imaginait pas les conséquences, et qui ont conduit à l'exil de mes parents, et à la déchirure de ma mère. Je sais que je lui en voudrais toute ma vie pour ça, et qu'au moment où il rejoindra sa femme, je le pleurerais beaucoup moins qu'elle.

Mais malgré tous ses défauts, toutes ses maladresses, c'est mon père, on n'en a qu'un seul, et je l'aime aussi même s'il a fait plein de bêtises. Dans l'immédiat, ce qui me fait le plus flipper, c'est de le voir, pour la première fois, débarquer seul.
Sans elle.
Elle ne sera pas là. A aucun moment. J'ai encore beaucoup de mal à casser ce binôme dans ma tête. Même dans le répertoire mon portable, j'ai pas été capable de changer le numéro de "parents" en simple "papa".

Même ça, j'ai pas pu le faire...

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