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Journal, très long j'espère, d'un sdf de moins.
18 novembre 2008

Téléportations

Je ferme les yeux.
Je les ouvre.
Je suis à Tokyo. La plus grande ville du monde. Un carrefour en pleine heure de pointe. 4 larges passages cloutés enserrent deux longues avenues croisées. Les japonais sont partout. Pressés, déterminés, plus petits que moi, programmés à l'extrême à d'incessants allers-retours. Je suis un estranger. Un occidental occupant temporairement leur espace confiné.
Autour de moi, je ne comprends rien. Analphabète. Les enseignes se livrent à une concurrence féroce pour rabattre le chaland. Le commerce coule dans leur sang. Les enseignes s'éblouissent à qui mieux-mieux. C'est un autre monde. Je reste là, fasciné.
J'attends la nuit. Cela fait des années que je rêve de la nuit Tokyoïte.
Et les néons roses, verts, bleus qui clignotent pour attirer la cagnotte. La nuit devient fascinante, colorée. Ici tout est fait pour empêcher le cadre harassé d'aller dormir. Il doit s'oublier dans le saké, les mirages technologiques, le steack de baleine. Je déambule lentement sur un large trottoir à forte densité humaine. Je me sens happé par toutes ces lumières comme un papillon. Je suis un estranger occidental, une erreur du paysage humain, et j'aime ça. Je bifurque dans une ruelle large de trois mètres où se succèdent de petites échoppes qui ne ferment jamais. Il est plus de 22 heures. Je pense à Blade Runner, à Harrison Ford s'achetant un truc asiatique dans une sorte de petit snack à emporter. Je fais pareil. Je m'achète sur le pouce sushis, sashimis et autres makis. Pas mauvais du tout.
J'arrive dans un bar d'inspiration britannique, au bois sombre et massif. Quelques clients enivrés, oubliant quelques heures leur chienne de vie d'esclave. Je m'asseois au bar et je commande un saké. Puis un autre. Encore un autre. Mes yeux brillent. A trois mètres, il y a une belle japonaise aux cheveux longs, plus grande que la moyenne, lovée dans une longue robe cintrée rouge ou noire, fendue aux jambes et s'achevant par une jolie paire de bottines à talons aiguilles et aux bouts ronds. Digne et cambrée, on échange un premier regard. Je trinque avec elle à distance. Elle sourit. La chimie opère. On discute un peu en anglais, mais la messe est dite. Les mots sont superflus.
Je paye une chambre d'hôtel deux étoiles. Je fais glisser sa robe sur son corps de lait. Elle me fait remarquer qu'elle aimerait bien me voir sans ma barbe clairsemée. Puis elle me fait des trucs orientaux, des trucs de geishas avant que l'on ne commence vraiment à faire l'amour.
Un vrai moment d'évasion. J'ai besoin de ça. Etre loin de tout. Etre loin de moi. De ces charniers à ciel ouvert dans mon esprit fermé. C'est doux, c'est tendre, mais au fil des minutes, ma violence rentrée trahit ma fragilité psychique, je lui tire les cheveux de plus en plus fort, parfois même je la fesse jusqu'à ce que son cul soit rouge, je pousse sa cambrure au maximum, elle devient mon objet-dévidoir, elle gémit, je l'insulte sans qu'elle ne comprenne rien, et je finis par l'enculer, en l'étranglant à moitié, pour vider ma gourme. Une douche, puis je l'abandonne à quatre heures du matin comme une poupée usée de douleurs et de souffrances.
La ville s'est un peu vidée mais le business est toujours vivant. Immense salle de jeux vidéos à tomber par terre. J'enfile un casque virtuel, et l'apatride glisse sur d'autres terres imaginaires. Le monde parait sans limite. Tokyo transpire l'opium.
Je ferme les yeux.
Je les ouvre.
Paysage quasi-désertique. Je suis autour d'un petit feu, le corps à moitié enfilé dans un duvet. J'observe religieusement une splendeur de la nature. Les Rocheuses américaines. Des falaises circulaires et accidentées arasées de hauts plateaux. Stalagmites géantes à bords plats, clairsemées dans un paysage sans relief. Les vieux westerns, l'ombre d'un cow-boy sur son cheval au bord d'un précipice de deux cent mètres immobile face à l'horizon sans fin. Tout l'espace semble avalé par le ciel rouge et or. C'est magnifique. Je ne suis qu'une petite cigale voyageuse. C'est dans ce genre de panorama que j'aimerais mourir. En attendant, je tire sur un gros spliff d'herbe bio. Le THC me monte à la tête. J'ignore si c'est pour oublier ou pour affronter férocement la douleur, poitrine ouverte et boyaux pendants. Affronter le mal intérieur pour mieux l'exorciser.
L'amour est loin, inaccessible, asphyxié. Il ne fait pas trop froid. Un petit coyote, attiré par l'odeur de viande grillée s'approche timidement. Je lui jette de la barbak. Connexion immédiate. La confiance s'installe. Repu, rassuré, il dort à un mètre de moi, roulé en boule, comme moi dans mon duvet.
Je ferme les yeux.
Je les ouvre.
Désert du Nevada. Las Vegas. Un table de poker. J'ai échangé plus de 1000 dollars en jetons. Le jeu, encore une façon d'oublier. Ca dure des heures et je tiens bon. Chaque heure, à chaque pause, je m'enfile deux whisky au bar. Une blonde, intriguée par mon côté baroudeur farouchement indépendant me lance des signaux. J'apprécie, mais j'ai mieux à faire. Je dois gagner cette partie, et pourquoi pas, ce tournoi. Je comprends à peine ce qui se dit autour de la table. Pas grave. Ce qui compte, c'est l'atmosphère. Ensuite, je rejoindrai à nouveau la route 66.
Je ferme les yeux.
Je les ouvre.
Retour à Toulouse. L'étouffante paperasse, les travaux d'archivages contre l'oubli meurtrier à faire sur le PC, mon père aussi fragile qu'un enfant, le boulot mal payé, les blocages psychiques, les heures, les semaines, les mois qui filent de façon odieuse, et cette terrible envie de fuir. Jusqu'à l'accident sans retour que j'appelle de mes voeux.

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